Un banal conte de fée…sans les fées.
Tout était calme ce soir-là, les ruelles sombres de Londres protégeaient le secret de deux amants. Ce secret était bruyant, petit, rose, et frigorifié. C’était moi. Vous vouliez que je vous dise que c'était un moment difficile? Que le travail a duré des jours et que ma mère avait failli en mourir? Et bien non, ce serait long et chiant à raconter sans parler du fait que ce n'est même pas vrai, enfin à ce que l'on m'a raconté. Mais quand même, on n’a pas idée de donner naissance à un bébé par terre, sur le pavé froid en compagnie d’un médecin qui a eu son doctorat dans une pochette surprise. Enfin, c’était ma mère, elle n’avait pas eu le courage de m’emmener dans un hôpital à la vue de tous. J’étais pour ainsi dire un bâtard, un enfant né hors-mariage. Elle, une petite bourge qui vivait dans le luxe avec un hochet en or dans la bouche. Lui, un simple collectionneur de petits boulots sans histoire. Comment ils se sont rencontrés ? Aucune idée. Comment ont-ils pu rester ensemble malgré les différences de classe sociale ? Ils ont préféré garder leur relation secrète jusqu’au jour où elle annonça « l’heureuse nouvelle » à savoir moi. Oh, magnifique ! Ses parents l’ont jeté dehors.
Dès le lendemain de ma naissance, ils ont enfin daigné la reprendre pour la marier à un riche inconnu. Que devait-elle choisir ? Vivre une vie au jour le jour avec un homme brutal qui ne savait pas garder un job plus de deux heures, un enfant et la misère ? Ou vivre dans la sécurité, le confort, la richesse avec un homme parfait, élégant et gentil ? Elle a immédiatement plié bagage pour retourner dans sa villa. Il n’y avait pas de place pour moi dans sa nouvelle vie, elle nous a juste relégués au rang de « souvenir » et personne de sa famille n’entendit jamais parler de nous.
Fuckin’mother.
Je n’ai jamais cherché à la rencontrer, je la haïssais. Tout comme je haïssais mon géniteur pour être devenu un déchet qui pourrissait à mes cotés au fil des années. Cette ordure humaine ne s’est jamais souciée de moi, allant gaspiller son argent dans les bars, chez les proxénètes. Je n’aurais jamais survécu si les voisines ne venaient pas m’apporter à manger en douce. On me disait que vivre ici n’était pas sain pour un « pauvre petit bout de chou comme moi ». Mais que voulez-vous, un gosse orphelin de mère comme moi ne pouvait que trouver sa place avec son père. Qu’est-ce que j’étais naïf…
On dit souvent « tel père tel fils », et bien je suis l’exception à cette règle. Si mon père était un pauvre sac à merde sans aucun avenir, alors je ferai tout pour devenir le fils prodigue que tout le monde respecterait. En grandissant j’avais donc acquis le respect de tous en devenant le chef du comité de discipline de mon collège pourrave. Tous ceux qui ne respectaient pas les règles établies par les professeurs à la lettre avaient affaire à moi. Dans un petit nid à racailles comme mon école, j’étais la lumière des adultes. Enfin quelqu’un les aidait à mieux dominer ces cancres. J’avais gagné leur admiration et la peur des élèves. En effet, pour mettre de l’ordre je ne reculais devant rien, j’employais tous les moyens pour les faire plier. Jusqu’à l’extrême.
A 19 ans j’étais devenu le gars le plus respecté de la rue, tous les chefs de gang m’étaient soumis, ils étaient mes « soldats de la justice ». Je faisais régner la paix, mon régiment m’obéissait au doigt et à l’œil.
Sans m’en rendre compte, la police est venue chez moi avec un corbillard pour emmener mon père. Son cadavre était en putréfaction depuis quelques jours déjà, les voisins ne pouvaient plus supporter l’odeur. Pourquoi n’ai-je pas remarqué l’état de mon vieux plus tôt ? Surement parce que j’étais trop occupé à négocier mon territoire avec d’autres chefs de gang insupportables ailleurs. Il était parti crever tout seul dans son coin, comme un rat, ce qu’il a toujours été. Tant mieux, depuis le début nous n’avions jamais été comme un père et un fils. Il ne me manquerait pas, le seul problème était que ce vieux schnoque n’avait pas d’héritage. Il avait hypothéqué la maison avant de mourir, si bien que je me retrouvais à la rue du jour au lendemain.
Fuckin’father.
Je ne trainais pas bien longtemps dans la rue, à peine une semaine. Je vivais comme je le pouvais en squattant chez mes subordonnés, ou en me nourrissant de la pêche et…d’autres choses. La vie à la belle étoile sur un banc, dans un parc, ce n’était pas si mal que ça. En clair je suis devenu SDF, mais un SDF heureux… dans la mesure du possible. Bien sûr cette douce vie de glandeur ne pouvait pas continuer, il fallait qu’un homme sortit de nulle part me sorte de mon carton et m’embarque dans une limousine noir bien lustrée. Je ne l’aurais pas suivi s’il ne m’avait pas parlé de mon défunt père. Il me disait que le vieux lui avait donné une lettre avant de mourir comme quoi il devrait s’occuper de moi à partir de ce jour. Mon père, je dis bien MON père, lui avait sauvé la vie autrefois, et il devait maintenant payer sa dette. Comment un incapable comme mon père pouvait sauver la vie de quelqu’un ? Il n’avait même pas pu sauver mon poisson rouge qui avait sauté hors de son bocal à deux centimètres de lui ! Oh mais bien sur, mon père n’était pas ce qu’il semblait être (un pauvre déchet), il était en réalité un chasseur de démon.
Qui plus est j’apprends que ma mère a refait sa vie avec cet homme, qu’ils ont un fils, qu’elle est morte…encastrée sous un piano ?! Enfin ce n’est que la version officielle d’après l’homme élégant qui me faisait face. La vérité était que cette femme avait été tuée par un démon elle aussi, la bonne blague. Comment un individu moyen était censé réagir face à toutes ces choses ?
1) Devenir fou
2) Croire que l’homme à la limousine était complètement fou
3) S’enfuir à toute jambe loin de ce psychopathe
C’est sûrement ce que d’autres auraient fait. Moi, j’ai simplement laissé mon regard voguer au loin sur le paysage en lui disant :
« Alors comme ça j’ai un demi-frère ? Chouette... »
Bonjour l’accueil du squatteur, une rangée de femmes s’inclinaient devant moi, des hommes habillés comme des pingouins me regardaient d’un air hautain. Je venais de débarquer dans une villa pour petits bourgeois tout ce qu’il y avait de plus exécrables. Plus importante que la famille royale, comme si je m’en souciais. Le père et son fils vivaient tous les deux dans cet immense château de conte de fée dans la richesse et l’oisiveté. Rien de plus écœurant.
Mais cet argent allait me permettre de faire ce que j’ai toujours voulu : entrer dans la police et tuer…je veux dire, enfermer les criminels derrière les barreaux en toute légalité. La famille Lysander (rien que le nom me donnait envie de vomir) était une famille ancestrale de chasseurs tout comme mon père et ma mère. Honnêtement, je me souciais de ces histoires de démon comme de ma première couche. Tout simplement parce que je n’y croyais pas. Le monde était déjà souillé par des insectes humanoïdes, on n’allait pas rajouter en plus des cloportes magiques ?!
Toujours est-il que j’ai vécu un an avec eux dans la plus parfaite…discorde. Ces histoires de chasseur, démon, magie, et « je veux venger ma femme et ton père » par ci « je veux que tu deviennes un chasseur car c’est ton héritage » par là. Il commençait vraiment à me pomper l’air cet homme venu de nulle part. Mais j’y trouvais des compensations, il m’apprenait à me battre comme un pro, à tirer avec toutes sortes d’armes allant de la massue jusqu’au bazooka. C’était un mythomane complètement fou, mais un mytho riche quand même. Du moment que je me battais, que j’étais logé et nourri, plus rien n’avait d’importance. J’avais beaucoup de mal à me retenir d’envoyer le petit frère dans le mur. Il se comportait avec tellement d’insouciance, d’indifférence et de désinvolture que ça en devenait presque agaçant. Le tuer m’aurait certainement enlevé une épine du pied. Mais tant que le père serait là pour veiller au grain, mieux valait prendre mes distances avec ce…Tyler. J’avais beau m’y forcer, je ne le considérais vraiment pas comme un membre de ma famille. Pour moi, il n’était qu'une miette de pain dans le lit douillet de mon existence, une simple connaissance encombrante. Dans la mesure où c’était plutôt moi le squatteur encombrant, je pouvais lui pardonner toutes ses bêtises de gamin. Quoique voir une de ses conquêtes se servir un verre de whisky au beau milieu de la nuit quand je suis moi-même en caleçon ou bien trouver des stupéfiants dans le tuyau du lavabo, ce genre de chose m’avait mis en rogne un bon nombre de fois.
Fuckin’brother
Qui aurait cru que cette histoire abracadabrante de sorcier et de Merlin l’enchanteur était vraie ? Au final, M.Lysander n’avait jamais menti. Comment je l’ai su ? Il s’est fait buté par un démon juste devant moi. Voir cette masse informe découper mon bienfaiteur dans la nuit noire m’a donné plus de frissons que je n’en avais jamais ressenti en 20 ans d’existence. Dissimulé dans l’ombre, j’attendais que le monstre finisse son œuvre avant de secourir le père de Tyler. Mais il était malheureusement trop tard, il n’avait plus beaucoup de temps à vivre. Je n’ai rien pu faire pour le sauver, nous serions morts tous les deux si je l’avais aidé. Son corps étendu sur mes genoux, il était éclairé par les rayons de la lune. Un signe ? Manquait plus que ça. Mettant sa main sur la mienne, sa respiration entrecoupée par des élans de douleurs, il me dit ses derniers mots :
- Phin, je suis fier de toi, cette année a été courte mais c’était assez pour parfaire ton apprentissage de Chasseur…Maintenant tu es prêt à prendre la relève avec ton frère…
Prêt ou pas je n’ai pas le choix maintenant qu’il va bientôt mourir…
-S’il-te-plait écoute mes dernières volontés, parvient-il à articuler, je voudrais que tu dises à mon fils à quel point je suis fier d’être son père, que ni les étoiles ni le ciel ne nous sépareront, il est le soleil de mes jours et la lune de mes nuits…
Et blablabla, croyait-il vraiment que je répèterais ces paroles mielleuse à son fiston ? Tout ça m’écœure.
-Vous n’êtes plus en sécurité ici au manoir, vous devez déménager. Vous devez nous venger en tuant les démons, vous devez protéger l’humanité. Je t’en prie Phineas, prend mon fils avec toi…Vous êtes frères, je compte sur toi pour le protéger de tout…
Me voilà affublé d’un boulet maintenant. Pfff comme si j’avais besoin de m’occuper de lui…
-Je lègue tout mon héritage à Tyler, sa voix n’était plus qu’un souffle, tu trouveras la clé du coffre dans un pan de ma veste, donne-là à Tyler...tu profiteras de ma richesse si tu reste à ses cotés…va mon enfant, je pars en paix.
Sa main se reposa sur le sol, inerte. Il était mort, et j’étais redevenu pauvre.
Fuckin’Lysander.
Le lendemain j’étais résolu, la nouvelle nounou du môme, c’était moi maintenant. Comment je devais annoncer la nouvelle à un gosse de 17 ans ? « Mon ptit gars, à partir de maintenant, c’est toi et moi. » ? « Ton père a été tué par un démon, je pleure avec toi de tout cœur » ? « Pauvre chou, comment une telle horreur aurait pu nous arriver ! ». Je n’en avais aucune idée, si bien que lorsque je me suis retrouvé face à lui, je n’ai pu dire que ceci :
- Un putain de démon a buté ton père, tout l’héritage est à toi. On sera ensemble toi et moi à partir de maintenant.
Et sans voir sa réaction, je lui balançais la clé trouvée sur son père. Puis je m’enfermais dans ma chambre et commençais les préparations en vue de la tuerie de ce soir. Je ne laisserais pas ce meurtre impuni. J’ai attendu l’arrivée du soir, effectivement, le démon d’hier était revenu. Sans doute pour annihiler la famille toute entière. Nous étions les seuls survivants, s’il nous cherchait, il allait nous trouver. Je refusais d’embarquer l’autre dans ce combat, je luttais donc seul avec toute la hargne qui m’avait retenu de tuer mes victimes jusqu’à présent. Je ne pouvais pas tuer des humains mais lui, je pouvais le dépecer jusqu’à en avoir les mains engourdies. Je lâchais toute cette furie contenue depuis des années, puis je découvrais que je ne me vengeais pas seulement pour le meurtre de mon beau-père. Je ne me vengeais pas pour la mort de mes parents, je ne le tuais pas pour me protéger. Je le tuais parce que ça me plaisait. Trancher ce démon avec ce simple couteau me procurait plus de plaisir que je n’en avais jamais eu jusqu’à présent. Le voir souffrir me délectait, j’évitais ses coups avec grâce, à l’affut du moindre bruit qui trahissait sa présence dans le noir. Ce n’était pas un combat, mais un carnage. Quand il tomba à terre, j’étais couvert de sang, fatigué, et heureux. J’avais tué mon premier démon…de façon assez brouillon cela dit. Il faudrait qu’à l’avenir je tue proprement pour éviter de salir toute la pièce.
Je m’emparais d’une arme dissimulée dans un pan de sa veste, elle était enroulée dans un tissu. Elle ressemblait vaguement à un pistolet argenté Glock 19, 9 mm Parabellum. Cela ferait un beau trophée en l’honneur de ma première victime.
Repose en enfer, fuckin’demon.
Nous avons immédiatement quitté l’Angleterre pour l’Amérique après avoir vendu le manoir. Mon portefeuille ambulant, alias mon frère, nous permit de voyager en première classe. Son fric est la principale raison pour laquelle je ne me suis pas encore débarrassé de lui. Depuis 3 ans que nous sommes installés à San Francisco, je me suis habitué à lui. Et grâce à son argent, nous vivons comme des nomades, à passer d’hôtels en hôtels tous plus prestigieux les uns que les autres. Nous n’avions besoin d’aucune attache, et pendant que Tyler allait faire ses conneries à l’école ou ailleurs, moi je m’entrainais, parfois avec lui. Je n’étais pas surpris d’apprendre que Tyler connaissait déjà le monde magique depuis la mort de notre mère. Au contraire c’était plus facile de vivre ensemble en ne comptant que sur nous-mêmes. Il était très intelligent malgré ses airs supérieurs et possédait une bague magique très intéressante qui nous permettait de traquer nos proies avec beaucoup plus d’efficacité. Oui, même mon frère pouvait m’être utile à mettre de l’ordre dans ce monde pourrave.
Mon arme de prédilection était mon trophée tiré du premier démon. Ce pistolet était un véritable petit bijou. Magique en lui-même, il n'a pas besoin de munition. Tout ce que je veux tirer se matérialise automatiquement dans ce flingue (des vrai balles, des graines, du feu/de l'air compressé, des balles explosives, etc...). Cette arme était une vraie perle…
Le jour fatidique où des êtres putrides appelés "maîtres sorciers" décidèrent d’ouvrir les yeux des humains sur l’existence du monde magique, j’ai simplement soupiré en me disant que nos mondes n’arriveraient jamais à coexister. Puis la Brigade d’Investigation Surnaturel a enfin ouvert ses portes, le plus beau jour de ma vie. Façon de parler. Cette organisation me permettait enfin d’exterminer les hors-la-loi en toute légalité, au grand jour. J’ai immédiatement pris un poste de chasseur au sein de cette organisation.
Puis Tyler entra lui aussi dans le métier à 20 ans, depuis nous menons la vie dure aux démons, sorciers, créatures et êtres magiques ne respectant pas les lois établies dans ce nouveau monde, sous les ordres de l’organisation. Ma tâche d’exterminer les cloportes magiques sera difficile. Comme si les humains ne causaient pas déjà assez de dommages…
Fuckin’world