Aileen naquit au sein d'une illustre famille de sorciers. Immergée très tôt dans cet univers surnaturel, ses parents crurent bon de lui inculquer les notions du bien et du mal, ainsi que des valeurs propres aux sorciers bénéfiques qu'ils étaient. Mais malheureusement, c'était sans compter sur le fort esprit de contradiction de leur fille, dont les desseins ne s'avéraient pas toujours être des plus charitables. Déjà enfant, elle ne se gênait pas pour magiquement envoyer paitre ceux qui osaient l'emmerder. Et autant le dire, Aileen ne faisait pas dans la demie-mesure : quand elle enquiquinait le commun des mortels, c'était jusqu'à la crise de nerfs. On s'en plaignait d'ailleurs régulièrement à l'école. Et puis, après moult convocations chez le proviseur, les parents Jackson s'étaient finalement résolus à l'idée : leur gamine se complaisait dans son attitude de teigne. Ils espéraient juste qu'elle s'assagisse avec le temps. Tout le monde passait par une phase un peu similaire lors de l'enfance, non ? Se disaient-ils avec une pointe (très grosse pointe) d'appréhension. Et leurs espoirs furent bientôt réduits à néant, écrasés, déchirés et jetés à la poubelle par Aileen elle-même, exaspérée par le comportement cul-cul de ses géniteurs. Le monde des bisounours où on sauvait la veuve et l'orphelin, très peu pour elle. Pas assez trépidant.

CHAPITRE I ; la Rupture Familiale

Aileen était dans sa chambre. Ou plutôt dans une chambre, étant donné que ça ne serait plus la sienne dans une poignée de minutes. Elle jetait quelques affaires en vitesse dans un sac de voyage. Des cris serpentaient les murs de la maison familiale, des larmes s'écrasaient salement sur le sol, et dans le lot, Aileen, qui, pas ébranlée pour un sou, continuait d'empaqueter le nécessaire tranquillement. Voyant sa mère en pleurs et son père en colère dans l'encadrement de la porte, la jeune femme soupira d'agacement. N'avaient-ils rien à faire d'autre que de simuler quelques simagrées pour leur fille, qui visiblement, n'était pas assez bien pour eux ? Elle roula des yeux tout en zippant la fermeture éclaire de son sac. Qu'ils pouvaient être lourds quand ils s'y mettaient. Aileen plaça son seul bagage sur son épaule et les toisa droit dans les yeux, comme pour les défier du regard. Ils lui barraient la route, pensant que probablement leur progéniture se raviserait en voyant qu'on lui faisait barrage. Au fond, ils ne souhaitaient pas qu'elle parte. Et lorsqu'ils lui avaient dit "Eh bien pars ! Vas-t-en si c'est ce que tu veux !", ils ne pensaient pas qu'elle les prendrait au pied de la lettre.

S'en suivit une conversation volcanique entre les deux partis. Le ton était monté très rapidement et ni l'un, ni l'autre ne voulait lâcher le morceau. Ils se menaçaient à tout va, les esprits s'échauffaient, la tension montait. Ce qui devait être un départ furtif se transforma finalement en une sorte de joute verbale (qui ne serait bientôt plus simplement verbale si ça continuait dans ce sens...) sans queue ni tête où l'on s'y reprochait tout et rien pour à peu près n'importe quelle broutille. Aileen commençait à trouver la scène complètement puérile. Elle coupa court à la conversation d'un geste de la main et se contenta de passer par la fenêtre. La jeune femme entendit au loin comme le sifflement d'un ultimatum, un truc du genre : "si tu pars maintenant, tu n'existeras plus pour nous !". Soit, qu'il en fut ainsi. Et elle déguerpit en vitesse sans se retourner. Désormais, tout ce qu'Aileen possédait demeurait dans ce sac, sur son épaule. Bon sang. En un claquement de doigt, elle se retrouvait sans domicile fixe. Ce n'était pas exactement la perspective d'avenir dont elle avait rêvé, mais elle ferait avec.

Elle arpenta longtemps la ville, vivant de petits boulots et de menus travaux des plus ingrats. Parfois elle usait de magie quand sa situation était trop précaire ou qu'elle en avait tout simplement ras le cul de bosser comme une dingue. Et quelques fois, Aileen jouait les bons samaritains pour se donner bonne conscience. Elle n'était pas mauvaise à la base, la petite Jackson après tout. Au bout d'un moment, elle réussit à se payer une bagnole, la plus pourrie qui soit, mais elle roulait. Les parois s'avéraient même être relativement étanches et admirablement isolées. Et surtout, dormir sur la banquette arrière était toujours plus agréable que la rue. Elle s'était toujours dite que ça aurait pu être pire. Alors la jeune femme se contentait de ce qu'elle avait. Des fois, elle s'aventurait dans des bars divers et rentrait avec quelqu'un. Aileen tenait à rester un minimum présentable. Et puis, elle ne voulait pas être prise en pitié par des inconnus comme l'étaient ceux qui mendiaient sur les trottoirs. Elle avait sa dignité, merde alors.

CHAPITRE II ; Le Coup de Foudre

Aileen venait de réparer une voiture qui devait coûter aussi cher qu'une maison. Elle avait trouvé ce boulot de mécano deux mois plus tôt et bizarrement, s'appliquait consciencieusement à la tâche depuis lors. D'habitude, son inconstance et sa présence aléatoire lui coûtait son job au bout d'une semaine, voire deux maximum. Mais celui-là, non. Il lui plaisait. Cet emploi lui avait même permis de dégoter un petit studio poussiéreux à l'angle de la rue. Sa vie commençait à se stabiliser. Enfin. D'ailleurs, Aileen prenait lentement goût à son nouveau quotidien. Elle s'autorisa finalement à troquer son cadavre de voiture, souvenir de ses années maudites, contre une moto flambant neuve plus classe et sophistiquée que jamais. Autant profiter de son fric, tant qu'elle en avait... Ça ne durerait probablement pas éternellement, pensait-elle pragmatique. Et comme toujours, elle finirait à un moment ou à un autre par se lasser d'un quotidien plan-plan et trop bien organisé.

Aileen venait de finir sa journée. Elle posa ses outils, fit un peu de rangement par-ci par-là, sereinement. La jeune femme salua ceux qui restaient encore dans le garage, puis partit. Elle devait faire un petit détour au supermarché avant de rentrer, ou elle devrait se coltiner les restes datant de Mathusalem. Elle détestait faire les courses en vérité. Voila pourquoi la fille Jackson ne mangeait que des trucs périmés depuis deux siècles. Mais quand la situation devenait trop critique et que des champignons commençaient à emménager dans son frigidaire, elle prenait le temps de déplacer son joli petit cul à la supérette du coin. Aileen crut bon de prendre un raccourci et s'engouffra donc dans une ruelle peu fréquentée, presque quasiment abandonnée. Du moins, c'était ce qu'elle croyait avant de constater qu'il y avait du mouvement dans le coin. Elle alla jeter un coup d’œil, par curiosité peut-être. Tiens tiens, une petite humaine piégée par des méchants vampires. Voila la bonne action du jour se dit-elle.

Après quelques longues dizaines de lutte acharnée, les deux jeunes femmes s'étaient finalement sorties de ce guêpier. Seulement, au lieu de recevoir des remerciements, elle eut droit à des blâmes. Aileen, pour une raison ou pour une autre, ne réussit cependant pas à lui en vouloir. En vérité, elle était trop fascinée par la beauté colérique qui se trouvait à ses côtés. Elle souhaitait carrément se faire pardonner pour avoir blessé l'amour-propre de cette chasseuse (parce que oui, c'était une chasseuse d'après ses dires) nommée Cassandre. Histoire de repartir du bon pied. C'était comme un besoin viscéral. Urgent. Alors elles se donnèrent rendez-vous dans un bar du coin le soir-même. Au lieu de rentrer chez elle pour s'arranger un peu, Aileen fila directement au lieu du rencard, relativement impatiente. Et Cassie arriva. Et elles burent. Beaucoup. Trop peut-être. Mais elles discutaient aussi. De tout, de rien, de n'importe quoi, de leur vie respective. Et comme on pouvait s'y attendre, cette soirée se termina sous la couette. Première expérience féminine pour Aileen. Premier vrai amour également.

CHAPITRE III ; Nomade-Like

Au bout du compte, la blonde ne s'était pas résolue à quitter Cassie. Elle ne le souhaitait pas. Ça la distrayait beaucoup. Et ça la perturbait beaucoup aussi. Cette relation naissante avec cette chasseuse mouvante ne pouvait durer que si Aileen décidait de l'accompagner sur les routes, elle en avait totalement pris conscience. Elle affectionnait sa petite vie bien rangée. Mais elle aimait Cassie. Et à choisir, elle préférait nettement la deuxième option. Alors lorsque celle-ci lui annonça son départ imminent, la blonde s'invita dans ses bagages. L'autre accepta très volontiers. Une formalité que de demander la permission. A vrai dire, Aileen l'aurait quand même suivie après un refus. S'en suivit des mois de rapports aussi orageux que passionnels durant lesquels elles conciliaient changements de décors, chasses effrénées, disputes journalières et réconciliations torrides. Cette relation destructrice les bouffait toutes les deux. Ces querelles incessantes les éreintaient un peu plus chaque jour.

L'une d'elle craqua. A son réveil, Aileen était désespérément seule. Une année de relation brisée par un bout de papier. La blonde digéra très mal la chose. Et rancunière comme elle était, la fille Jackson préparait déjà une vengeance. Mais elle était déchirée. Déchirée entre son amour pour Cassie et ses envies de représailles. Elle se mit tout de même à sa recherche. Elle cogiterait sur ça le temps de la retrouver. Ce fut ainsi qu'Aileen débuta à remuer ciel et terre en quête d'indices. Sept mois de silence radio. Sept mois qu'elle parcourait toute l'Amérique à la recherche de sa brune. Lorsqu'elle lui tomba dessus à Seattle, les retrouvailles furent des plus houleuses, jusqu'à carrément en venir aux mains. Il fallait bien ça pour qu'elles se réconcilient à nouveau. Au lit, cela coulait de source. Et puis, leur petite routine recommença encore. Inexorablement. Chasses, disputes (moins fréquentes qu'auparavant ! Dieu merci), réconciliations. Et Aileen fut soudainement happée par son désir de vengeance, brisant à nouveau son couple par le biais d'un bout de papier. Le sien cette fois. Elle partit le cœur lourd et éclaté en milliers de morceaux. Elle déprima même. Longtemps. Très longtemps. Deux mois, trois certainement, quatre peut-être, la notion du temps lui était complètement égale.

CHAPITRE IV ; Welcome to San Francisco

Aileen déposa ses bagages à San Francisco deux mois plus tôt. Elle n'avait plus l'envie de continuer sur les routes. Elle ne voulait pas d'attaches matérielles trop fixes cependant. Aussi prit-elle à nouveau une voiture d'occasion. Pas par contrainte cette fois, mais par choix. Et San Francisco, mine de rien, s'avérait être une ville trépidante. Il s'y passait des trucs surprenants tous les jours. En plus, on venait la voir des fois. Pour faire réparer ceci ou cela. Des broutilles le plus souvent. Ses passages à répétitions dans certains garages du coin l'avaient fait connaître. Ça la faisait vivre au moins. Une vie plutôt simple dont elle se contenterait pour le moment. Une petite pause. Le temps de souffler et de se remettre.