Un craquement de planche de bois se fit entendre dans le bâtiment où de joyeux lurons fêtaient et s'amusaient, puisqu'il s'agissait d'un bal organisé en l'honneur des jeunes de cette ville. Ils avaient tous entre quinze et vingt ans.

« Vous avez entendu cela, Poppy ? » demanda l'un de ses amis, pour qui elle avait une très forte attirance. En fait, c'était bien plus qu'une attirance. Il s'agissait là de sentiments qu'elle-même n'arrivait pas à déchiffrer, à décrire. Tout ce qu'elle pouvait dire et affirmer, c'était qu'ils étaient bien plus fort que la luxure. « Non! Qu'est-ce qu'il y a ? » sourit-elle à son ami, tentant de ne plus entendre la musique classique qui faisait fureur dans le bâtiment où ils s'étaient établis, elle et ses amis, pour faire la fête. Une belle robe noire et rouge au corset très serré était portée par ladite Poppy. En ces temps, il était primordial que les demoiselles, même lors des fêtes organisées par la ville de Londres.
Laissez-moi vous situer. Nous sommes en 1639, Poppy était âgée de 15 ans, et elle était plus angélique que jamais. Elle essayait de faire taire ce côté démoniaque en elle, de le réprimander. Tenter de le cacher à ses amis qui étaient précieux pour elle, surtout cet ami, Aymeric... « Il y a eu un bruit de craquement, au fond, là-bas. » dit-il en pointant l'escalier du bâtiment, qui menait au deuxième étage. « Je vais voir. » , affirma-t-il, en se levant de la chaise où il était assis, à boire son délicieux breuvage alcoolisé.

Sombrant dans ses pensées, elle réfléchit au bonheur qu'elle avait de s'être éprise d'un bel homme, de trois ans son aîné, il avait donc dix-huit ans. C'était la première fois, en quinze ans de vie, que la démone s'était sentie amoureuse et remplie de joie. Son monde n'avait été que sang et meurtres. Elle s'était accordée une pause en tentant d'avoir une vie le plus possiblement humaine. Et elle l'avait eue. Elle n'utilisait plus ses dons depuis six mois, maintenant, et cela était convenable. Elle le faisait pour lui, pour ne pas qu'il ait peur d'elle. Mais cette peur allait bien venir tôt ou tard, lorsqu'il connaîtrait sa véritable identité...

Le cocktail prit une tournure des plus atroces alors qu'elle sirotait doucement son champagne. La petite réunion d'amis fut troublée par un être sanguinaire, un être sans pitié: un démon envoyé par son père. Suivant les ordres de ce dernier, il s'en prit aux amis de la demoiselle, qui se voyait impuissante face à tout cela. Il les tua un à un, en prenant bien soin de leur trancher la gorge ou de les faire brûler vifs. Les hurlements de douleurs, les supplications fusèrent de toutes parts du bâtiment. Poppy regardait le spectacle, l'horrible spectacle, puis lorsque le démon vint pour s'en prendre à l'homme qu'elle aimait, elle fut prise d'un violent choc et se releva, en faisant bien claquer ses magnifiques sandales à talon: « SAUVES-TOI, AYM. » hurla-t-elle de toutes ses forces. Tandis que son ami tentait de fuir, elle cria, prise de rage, et se déchaîna sur le démon qui avait exterminé ses amis, ces humains sans défense. Avec une cruauté sans égard, elle se lança sur le monstre, et en plongeant son bras au travers de son torse avec une force incroyable, elle lui arracha le coeur. En redécouvrant cette partie d'elle-même, elle redevint également un monstre, un être assoiffé de sang. Depuis ce jour fatidique, elle n'a plus revu Aymeric, qui, aujourd'hui, est probablement mort...

***

Trois ans plus tard.

***

Elle avait commit crimes par dessus crimes. Tué des innocents par centaines, par milliers. Elle avait voyagé avec son père à travers le monde entier pour exécuter sa vengeance. Elle n'avait pas oublié. Pourtant, Romy était pleine de haine envers son père. Elle devenait comme lui : une tueuse compétente et qui savait se servir de ses pouvoirs magiques à merveille. Durant ces années, elle fut froide, mystérieuse et en colère. Malgré cette haine incontrôlable, Peter, son père, lui montra à se servir correctement de ses pouvoirs, sans que les émotions ne prennent le dessus. Elle était devenue un monstre sans pitié. Froid et sadique. Cruel et manipulateur. Le portrait craché de son père.

En se réveillant, Poppy avait cru revivre cette soirée, puis ces trois années passées à tuer et à assouvir sa vengeance. Cela n'avait pas été aisé pour elle, de tenter de comprendre ce qu'elle faisait. Trois-cent années passées à tuer, à servir et à détruire. Elle ne regrettait rien. Rien du tout. Elle avait adoré voir les gens souffrir, se montrer cruelle envers tout le monde et tout cela pour une seule raison, que personne ne connait et ne connaîtra probablement jamais. Cette partie d'elle est enfouie au plus profond d'elle-même, et plus jamais elle ne reviendra.
Ce sourire d'ange que vous voyez à tous les jours, ce visage parfait entretenu par la magie, ce corps endiablé qui danse au rythme de la musique à chaque vendredi soir, tout cela, c'est le côté d'elle-même qu'elle tente de montrer à la vue de tous, dans le but de tromper et de manipuler. Sixtine est belle, elle est sensuelle et charmeuse, et elle le sait. La brune sait parfaitement bien qu'elle peut utiliser ses atouts pour obtenir ce qu'elle souhaite par-dessus tout. Son coeur meurtri par la vue de cet homme qui la fuit alors qu'elle arrache le coeur d'un être démoniaque est brisé à jamais. La luxure domine, présentement, dans son monde, et ne laisse plus place à l'amour. Ses parents lui ont enseigné que l'amour n'était présent que lorsque deux personnes s'aimaient profondément, lorsque l'un était passionné par l'autre, et vice-versa. Ce sentiment, elle ne l'avait connu qu'une fois, et plus jamais elle ne referait l'erreur de tomber dans ce cercle vicieux, qui pourrait facilement avoir raison d'elle. Aimer, c'est une faiblesse dont elle n'a pas besoin. C'est pourquoi elle est si cruelle, si méchante. Si froide.

Froide comme cette soirée d'hiver, glaciale comme le vent qui soufflait dans ses cheveux. Elle était sortie admirer la ville de San Francisco, où elle s'était établie depuis bien longtemps. Une centaine d'année, dirait-elle. Le réveil avait été pénible, et elle ne s'était même pas aperçue qu'elle était aussi épuisée. Ses muscles étaient tendus à cause du froid, mais elle était sortie parce qu'elle voulait admirer cela : San Francisco était sur ses gardes. Les créatures magiques rodaient ici et là, et tous se méfiaient : qui était qui ? Mal, ou bien ? Le mystère se faisait encore plus pesant sur la ville éclairée par les nombreux bâtiments, et cela la réjouissait. Voir ces humains courir dans tous les sens comme des poules sans tête lorsqu'un démon faisait surface était jouissif. Quant à elle, personne ne savait qui elle était réellement. Elle avait cette part de mystère en elle qui était fascinante. Beaucoup de gens se taisaient devant elle. Ses yeux bruns chocolat, qui avaient vus de nombreuses choses en bien des années, se promenaient ici et là. Ils regardaient surtout... Rien. Le froid, ce vide monumental qui occupait la ville sans que les autres êtres stupides et sans cervelle ne voyaient pas. San Francisco et le monde en général n'était plus le même depuis Le Tournant, et cela décevait fortement la belle demoiselle.

Il était exactement vingt heures dix-huit. La soirée ne faisait que commencer. Sa vie ne faisait que continuer. Elle décida de retourner chez elle pour se changer de vêtements, et de sortir s'amuser en boîte de nuit. Toutefois, en ouvrant la lumière de son appartement, elle vit son père, qui se tenait là, devant elle. « Qu'est-ce que tu fiches ici, père ? » cracha-t-elle. Elle le haïssait de toute son âme, de tout son corps. Elle résistait difficilement à l'envie de le noyer dans une eau si froide qu'il ne tarderait pas à mourir d'une forte hypothermie. Son sang se glaça lorsqu'il lui adressa la parole: « Quelle politesse, chère fille. Je venais simplement te saluer, qu'as-tu donc en tête... », sourit-il, d'un air diaboliquement mauvais. « Je sais que tu ne te déplaces jamais pour rien, papa. » dit-elle en appuyant bien sur le mot qui le désignait comme étant son père, « Alors dis-moi MAINTENANT ce que tu fiches chez moi. » . Il rit. Un rire machiavélique. Il s'approcha d'elle, et la regarda droit dans les yeux en lui murmurant doucement trois mots: « Tu. Es. Faible. » qui la mirent dans une colère noire. Sa cruauté prit donc le dessus, et vivement, elle l'enferma dans une prison d'eau glaciale, puis alla chercher un couteau bien aiguisé. Sans crier gare, elle poignarda son propre père en plein coeur, pour lui faire payer toutes les souffrances qu'il lui avait infligé. En le regardant droit dans les yeux et en tournoyant le couteau d'un bord à l'autre, elle sourit : « Ne me confonds pas avec toi, père. » puis elle le relâcha, son sang s'éparpillant sur le beau plancher en bois franc de la demoiselle. Les suffocations de son père sonnaient comme une jouissance à ses oreilles. « Quel dommage. Mon si beau plancher est ruiné, et mon chandail aussi... » fit-elle, pour le provoquer davantage.

En cette soirée du vingt-trois février deux-mille trente trois, Poppy Sixtine Romy Marlow venait de tuer son géniteur, celui qui l'avait élevée et apprit à combattre.
Elle avait fait ça toute sa vie, tuer, qu'est-ce que cela changeait qu'il s'agissait de l'être qui l'avait conçue ? Rien du tout. Sur ces pensées, la demoiselle alla se doucher, se vêtir convenablement et se coiffer grâce à son fer plat et à son séchoir à cheveux, puis se maquiller comme une jeune femme de dix-neuf ans le ferait pour sortir en boîte. Ses derniers mots adressés à son père furent d'un froid sans égal : « Tu n'as pas réussi à gâcher ma soirée. J'en suis désolée. » puis en prenant soin de faire attention pour ne pas tâcher sa tenue, elle passa par dessus le corps inanimé, puis dans un dernier soupir, le corps de son défunt père parti en fumée.